Les feuilles Excel ne font pas de miracle

Réfléchissez bien à la manière d’utiliser vos feuilles de calcul. Ne faites pas une confiance aveugle à vos feuilles Excel

Nombre d’entreprises se fient aveuglément aux feuilles de calcul. Besoin d’un pronostic ? Vite, nous l’émettons sur une feuille de calcul Excel. Une simulation ? Excel ! Établir un planning ? Excel ! Les feuilles de calcul Excel constituent un instrument pratique certes, mais l’on y recourt trop systématiquement pour des tâches pour lesquelles elles ne sont pas nécessairement faites. Le résultat? Les entreprises exploitent des systèmes de gestion de l’information bricolés, qui ne sont pas suffisamment robustes pour assurer un fonctionnement fiable à plus long terme. Découvrez-en les risques dans ce petit livre blanc.

Des chiffres qui font trembler

En 2009, l’agence néerlandaise de l’eau Veluwe a perdu 2,7 millions d’euros parce que deux champs d’une feuille Excel avaient été intervertis. En mai 2012 c’est la banque américaine JP Morgan Chase qui perdait la bagatelle de 2 milliards de dollars en raison d’une erreur commise dans une feuille de calcul.

En 2013, un étudiant a découvert une erreur dans un article de référence rédigé en 2010 par les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. La feuille de calcul des chercheurs contenait une importante omission : cinq pays dont le PNB (produit national brut) devait être calculé avaient été purement et simplement oubliés. L’erreur, manifestement imputable à la non-actualisation d’une formule censée prendre en compte une colonne spécifique n’a été découverte que lorsque l’étudiant a demandé et vérifié les données des spécialistes, parce que lui-même n’arrivait pas à reproduire leurs résultats.

Ces cas ne sont pas isolés. Une analyse de 2008 du professeur Ray Panko révélait que pas moins de 88 % des feuilles de calcul contiennent des erreurs. Les risques que comportent les feuilles de calcul font l’objet de conférences spécifiquement dévolues à ce thème. Une organisation mondiale a même été mise sur pied pour prendre ce problème à bras le corps : la European Spreadsheet Risks Interest Group (EuSpRIG). Celle-ci tient à jour une liste d’histoires à faire peur où de très sérieuses feuilles

Excel contiennent des erreurs incroyables.

Les neuf risques des feuilles de calcul

Les feuilles Excel constituent des instruments bien pratiques, mais elles n’en ont pas moins leurs limites. Le recours intensif à ces feuilles de calcul vous expose à divers risques :

1. Trop facile

Les feuilles de calcul sont si faciles à créer que tout le monde s’y met. Alors qu’elles requièrent une utilisation méthodique que, souvent, seuls les programmeurs appliquent. Quelqu’un qui ne possède pas d’expérience de la programmation n’a pas l’habitude de réfléchir de manière procédurale aux chiffres et aux formules qu’il introduit et ne voit pas non plus l’intérêt de documenter et d’automatiser les workflows. Le résultat est que de nombreuses feuilles de calcul contiennent des erreurs parce que les usagers les utilisent de manière brouillonne. Et au lieu de voir apparaître un message d’erreur, ils n’obtiennent généralement que des résultats erronés.

2. Pas de culture du test

Les utilisateurs doivent réaliser que travailler sur des feuilles de calcul est une forme de programmation. Et quand on programme, on effectue des tests. N’importe quel programmeur compétent de logiciel teste son code, et c’est ce que nous devrions faire autant que possible lorsque nous recourons à des feuilles de calcul. Si, par exemple, vous savez que les chiffres d’une colonne donnée doivent systématiquement être inférieurs aux chiffres d’une autre colonne (par exemple, le nombre d’heures prestées par rapport au nombre maximal d’heures de travail par mois pour différents travailleurs), il n’est pas très difficile d’ajouter une colonne pour vérifier la présence de ce rapport d’infériorité. Avec la fonction conditional formatting, c’est même très facile à montrer : une cellule non valide pourra par exemple apparaître sur fond rouge si l’infériorité d’une valeur par rapport à une autre n’est pas respectée. Malheureusement la communauté des utilisateurs de feuilles de calcul n’est pas nécessairement imprégnée de cette culture du test systématique.

3. Pas de traçage

Tout le monde peut modifier des cellules dans une feuille de calcul sans qu’ultérieurement les collègues sachent qui a introduit une éventuelle erreur. Si, plus tard, vous cherchez à connaître l’origine d’une erreur, vous nagez dans le flou total. Un logiciel intégré spécifique – un ERP, par exemple – trace toutes les modifications à des fins de conformité et peut ne donner qu’à des personnes en particulier la possibilité de modifier des chiffres.

4. Trop flexible

Le programme de calcul offre tant de flexibilité que les erreurs sont faciles à commettre. Il suffit que vous placiez par inadvertance votre curseur au mauvais endroit pour remplacer erronément un chiffre par un autre. De la même manière, il peut vous arriver de remplacer une formule par un chiffre. Si vous ne le remarquez pas tout de suite, vos calculs seront totalement erronés.

5. Pas suffisamment d’automatisation

JP Morgan Chase avait mis en œuvre l’évaluation du risque de leur stratégie d’investissement sous la forme de tout un ensemble de feuilles de calcul, que les banquiers devaient remplir manuellement et dans lesquelles ils devaient copier les données d’une feuille de calcul pour les coller dans une autre. Ce qui n’est pas la manière de procéder la plus robuste : rien de tel qu’une méthode de copier-coller pour commettre une erreur.

Ce cas n’est pas isolé : nombre d’entreprises mettent en place une sorte de système de gestion de l’information, voire un système BI ou ERP sous la forme de feuilles de calcul, mais sans l’automatisation très poussée qu’un tel système exige normalement. Les feuilles de calcul ne sont pas du tout faites pour ce type d’exercice.

6. Non reproductible

Si la recherche scientifique doit être reproductible, il en va de même des stratégies d’investissement et des calculs à l’appui des initiatives de l’entreprise. Un programme de calcul reste néanmoins un outil interactif difficile à tester. Dans de nombreux cas, il vaut mieux programmer qu’utiliser une feuille Excel, ou encore utiliser un logiciel spécifiquement conçu pour la tâche donnée – notamment un ERP, warehouse management system ou un système de planification. De cette manière, vous n’aurez plus à copier-coller : vous savez que lors d’une actualisation des chiffres, les calculs se déroulent exactement de la même manière. En outre, l’historique vous permet d’effectuer à nouveau des calculs à titre de contrôle.

7. Pas de version unique et fidèle à la réalité

Dans nombre d’entreprises, les feuilles Excel qui circulent se comptent par centaines, voire par milliers. Souvent, en plusieurs versions parce que les collègues les adaptent et les renvoient. Êtes-vous certain à tout moment d’avoir effectué la bonne opération dans la bonne feuille de calcul ? Faute d’une « version unique et fidèle à la réalité » sous la forme d’un entrepôt de données ou ERP, les résultats des feuilles de calcul ne sont pas fiables. En effet, après avoir adapté votre feuille de calcul, vous devez renvoyer le fichier modifié aux collègues, mais si ces derniers oublient d’enregistrer cette nouvelle version, ils continueront d’utiliser le fichier contenant des chiffres ou des formules qui ne sont plus d’actualité.

8. Trop dépendant du créateur du fichier

Une feuille Excel est en général la création d’une seule personne, généralement le gourou Excel « maison », qui a un jour eu l’idée d’élaborer un petit fichier Excel pour effectuer rapidement un calcul. À la longue, ledit fichier est devenu une feuille monstrueusement complexe dont seul le créateur sait encore comment elle fonctionne. Mais si cette personne est malade ou quitte l’entreprise et que des modifications importantes à la feuille en question s’imposent, l’entreprise se trouve face à un gros problème. Personne ne sait sur quoi reposent toutes ces formules magiques, ni à quoi elles servent…

9. Invisible aux yeux d’IT

Les feuilles de calcul sont souvent une forme de shadow IT : du fait qu’IT ne fournit pas immédiatement le logiciel dont les collaborateurs ont besoin, ces derniers concoctent parfois une solution de leur cru. Ils créent des feuilles de calcul pour résoudre leurs problèmes et greffent un nombre croissant de leurs tâches quotidiennes sur ces feuilles qui échappent au radar d’IT. Ce qui mène à de nombreux problèmes.

Conclusion

Excel est et reste un excellent outil, mais soyez conscient des limites et des risques inhérents aux feuilles de calcul. Du fait qu’elles sont faciles à utiliser, chacun y recourt volontiers. Des erreurs apparaissent cependant souvent du fait que les usagers ne sont pas familiers de la culture du test qu’une utilisation adéquate suppose. Les feuilles de calcul n’autorisent pas non plus de traçage permettant de retrouver le responsable d’une erreur éventuelle, et les programmes de calcul sont eux-mêmes trop flexibles : une erreur est vite arrivée pour peu que vous encodiez par inadvertance un chiffre dans la mauvaise cellule.

Les feuilles de calcul exigent encore trop de travail manuel de la part de l’utilisateur, elles ne sont guère reproductibles et n’offrent pas une « version unique et fidèle à la réalité ». Si vous utilisez des feuilles Excel pour des tâches délicates, vous vous mettez sous la dépendance des créateurs de ces feuilles. En outre, les feuilles Excel s’apparentent souvent à du shadow IT, ce qui occasionne bien des soucis à votre département IT. En résumé, réfléchissez deux fois avant de concocter une énième nouvelle feuille de calcul !